Saviez-vous qu'environ 10 % des stagiaires du domaine de la santé éprouvent des difficultés importantes au niveau du raisonnement clinique durant leur parcours académique (Cogan et al., 2019) ? Les erreurs de raisonnement sont la principale cause de mauvais diagnostic. Il devient alors primordial pour les superviseurs de cerner les défis de l'étudiant et d'y remédier (Pelaccia et al., 2019).
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Mais qu'est-ce que le raisonnement clinique ?
Il s'agit d'une activité intellectuelle qui consiste à synthétiser l'information obtenue lors d'une situation, à l'intégrer aux connaissances préalables et aux expériences antérieures pour émettre une impression et prendre les décisions thérapeutiques appropriées.
La majorité des superviseurs peuvent rapidement constater que la démarche cognitive de leur stagiaire est insatisfaisante. Cette perception reste toutefois intuitive et ne permet pas au superviseur de discerner clairement les déficits dans le processus de pensée de leur étudiant (Weller et al., cités par Audétat, Nendaz et al., 2019). Afin de pallier ce défi, il s'avère nécessaire pour les superviseurs de transformer leurs intuitions en actions pédagogiques.
Une taxonomie regroupant six difficultés de raisonnement observées chez les stagiaires a été établie puis modifiée au cours de la dernière décennie (Audédat et al., 2011, 2017, 2019).
1. Difficultés à se faire une représentation initiale du problème
Le stagiaire montre des difficultés à se faire une représentation initiale du problème lorsqu'il :
- Questionne chaque symptôme isolément lors de l'entrevue avec le patient
- N'arrive pas à présenter au superviseur un résumé global et structuré de la situation
Pour soutenir le stagiaire, vous pouvez lui poser les questions suivantes :
- Quels sont les éléments à prioriser parmi ce que t'a dit le patient ?
- Si l'on combine telle et telle information, à quoi cela te fait-il penser ?
2. Difficultés à générer des hypothèses
Le stagiaire présente des difficultés à ce niveau lorsqu'il :
- Montre une rigidité lors de l'entrevue et ne pose pas les questions clés précocement
- Effectue un examen clinique exhaustif, stéréotypé et non ciblé envers la plainte du patient
- A de la difficulté à formuler et à justifier les hypothèses qui ont guidé son entrevue
Pour guider le stagiaire, vous pouvez appliquer les stratégies de soutien suivantes :
- Développer la reconnaissance d'indices discriminants en début d'entrevue
- Demander au stagiaire de générer quelques hypothèses avec les informations dont il dispose avant la rencontre (âge, sexe, plainte, contexte, etc.)
- Présenter des cas fictifs au stagiaire et lui demander de fournir l'hypothèse la plus probable.
3. Difficultés de fermeture diagnostique prématurée
Le stagiaire présente des difficultés de fermeture diagnostique prématurée lorsqu'il :
- Recherche seulement les informations qui confirment son unique hypothèse
- Ne clarifie ou ne vérifie pas les plaintes du patient
Pour vous assurer que votre stagiaire considère plusieurs hypothèses, vous pouvez lui demander de :
- Vérifier un nombre minimal d'hypothèses pour chaque cas
- Justifier son diagnostic à l'aide des données pertinentes recueillies (toutes les constatations sont-elles expliquées par cette hypothèse ?)
- Réfléchir sur les raisons qui l'ont amené à ne pas retenir d'autres hypothèses.
4. Difficultés de priorisation
Le stagiaire présente des difficultés de priorisation lorsqu'il :
- Consacre beaucoup trop de temps à explorer un élément secondaire
- Mène difficilement l'entrevue
- Est incapable de faire une intégration et une synthèse des informations recueillies, ce qui mène le superviseur à « perdre le fil conducteur »
Pour développer cette capacité, vous pouvez poser les questions suivantes à votre stagiaire :
- Pourquoi penses-tu que cette information est la plus importante ?
- Imagine que tu doives présenter la situation à un collègue ou à un consultant externe, que lui dirais-tu ?
- Si tu priorisais autrement, comment cela changerait-il ton point de vue et ton traitement ?
5. Difficultés à élaborer un portrait global de la situation
Des difficultés à élaborer un portrait global de la situation sont observées lorsque l'étudiant :
- Dirige une entrevue pendant laquelle les problèmes et les traitements sont abordés en « silo »
- Élabore un plan de traitement irréaliste
- A rédigé des notes au dossier ne permettant pas au superviseur de bien saisir « qui » est le patient
Pour faciliter l'élaboration du portrait global de la situation par votre stagiaire, vous pouvez :
- L'inviter à réfléchir aux liens entre les différents aspects de la situation vécue par le patient (p. ex. les valeurs, la personnalité, le contexte de vie du patient affectent-ils son plan d'intervention ?)
- Lui demander de concevoir un schéma ou une carte conceptuelle de la situation et en discuter avec lui.
6. Difficultés à élaborer un plan d'intervention
Des difficultés à élaborer un plan d'intervention sont présentes lorsque :
- Le plan d'intervention est absent ou déficient (p. ex. exhaustif, stéréotypé, vague, qui ne règle rien ou qui repousse la prise de décision)
- Le stagiaire est incapable de justifier son plan d'intervention
Pour développer les compétences de votre stagiaire, vous pouvez :
- L'inciter à se prononcer et à se positionner (p. ex. « Comment arrives-tu à un tel plan d'intervention ? »)
- Stimuler sa réflexion pour lui permettre d'élaborer un plan d'intervention complet (p. ex. « Quelles seraient les conséquences de tes propositions de test ? »)
Conclusion
La responsabilité de développer le raisonnement clinique des stagiaires incombe aux superviseurs. Les stratégies d'identification et de remédiation proposées faciliteront cette tâche et vous permettront d'augmenter votre confiance et votre satisfaction envers vos interventions pédagogiques. Pour découvrir d'autres stratégies et approfondir vos connaissances sur le raisonnement clinique, inscrivez-vous à notre atelier en ligne Façonner le raisonnement clinique.
Références
Audétat, M. C., Laurin, S., Dory, V., Charlin, B. et Nendaz, M. (2017). Diagnostic et prise en charge des difficultés de raisonnement clinique. Seconde partie : gestion des difficultés et stratégies de remédiation. Pédagogie Médicale, 18(3), 139-149.
Audétat, M.-C., Laurin, S. et Sanche, G. (2011). Aborder le raisonnement clinique du point de vue pédagogique. Pédagogie Médicale, 12(4), 223-229.
Audétat, M. C., Nendaz, M., Claire Fon, N., Cogan, E. et Muller-Juge, V. (2019). Supervision du raisonnement clinique. https://catalogue.edulib.org/fr/cours/UMontreal-SRC-2/
Cogan, E., Leeman, M., Goffard, J. C., Maisonneuve, H., Michelet, E. et Audétat, M. C. (2019). Comment formaliser la supervision de l'apprentissage du raisonnement clinique. La Revue de médecine interne, 40(S1), 20-22.
Pelaccia, T., Forestier, G. et Wemmert, C. (2019). Une intelligence artificielle raisonne-t-elle de la même façon que les cliniciens pour poser des diagnostics ? La Revue de médecine interne, 40(S1), 16-19.